Tag Archives: violences sexuelles

Trou noir

En ce moment, je parle beaucoup de viol sur ce blog. On dirait que je suis devenue une grande méchante féministe moustachue obsédée par les violences faites aux femmes.

En fait, il n’y a pas longtemps, j’ai appris à écouter. Je savais entendre avant, hein, j’avais des oreilles, et j’ai pas encore perdu les tympans qu’il y a dedans parce que je mets des bouchons d’oreille quand je vais en concert.

Mais voilà. J’ai appris à écouter, à vraiment écouter. Et je me suis rendue compte que depuis que je sais écouter, j’entends mieux ce que les personnes me disent, et aussi ce qu’elles ne me disent pas, ou à moitié. Et depuis que je sais écouter, les gens me parlent beaucoup plus.

Parmi les gens qui me parlent, il y a beaucoup de femmes. Ça a un lien avec mon boulot, mais pas que.

Quand t’es une femme et que t’écoutes des femmes, elles te disent des trucs.

La plupart des femmes me disent des trucs sur leur sexualité (ça a aussi un lien avec mon boulot).

Toutes les femmes de qui je suis suffisamment proche pour parler de sexualité en viennent à évoquer des violences sexuelles.

C’est pas parce que je connais uniquement des personnes qui ont subi des violences sexuelles. C’est parce que la plupart des femmes ont, à un moment de leur vie, subi des viols ou des violences.

Quand on n’écoute pas, on n’entend pas. De cette façon, on peut tenter d’ignorer que le viol est un phénomène social de masse. L’ignorer ne le fait pas disparaître. Ça contribue juste à ce que les personnes victimes de viol se sentent encore plus seules et les violeurs, plus forts.

Alors pour moi c’est important que les récits de viol sortent des pensées des violées. C’est important plein de gens comprennent que le viol, c’est partout, et ça arrive à tout le monde.

Alors une copine que j’écoutais un jour a écrit ça. Alors j’ai décidé de le publier ici (il a aussi été publié). Parce que pour arriver à sortir cette chose-là, à l’écrire, à mettre le mot de viol dessus, il faut un sacré courage, et c’est vraiment la classe.

 

“19 ans, weekend dit « d’intégration » dans cette grande école. Je suis en 2ème année, je connais déjà le principe, mais j’y vais, quand même, avec copine. Parce qu’on s’en fout des autres, on veut juste s’amuser.

La fameuse soirée de fête s’annonce pas mal, il faut beau, on boit, on rigole.
Ce type que je connais juste de vue s’approche de moi, veut visiblement danser avec moi, me colle. Bon. Je suis saoule, j’accepte implicitement en le laissant se coller. Il se rapproche, encore, me tient par les hanches. Je crois que j’ai pas vraiment envie, mais après tout je risque pas grand chose, les copines sont là, tout le monde s’amuse. On peut bien rigoler. C’est le jeu. C’est le « weekend d’inté ».

Et puis pause clope dehors. Une fille que je ne connais un peu me dit fais gaffe, ce mec il est sans pitié, il va profiter de toi. Tu veux baiser avec lui ? Non ! On fait que danser, ça va, t’inquiète ! Hors de question qu’il me touche.
Alors ok, mais fais gaffe quand même. Le laisse pas trop t’approcher.

La soirée continue, on boit on danse on rigole.

Evidemment qu’il s’est approché. Puis vient le très bateau « tu viens on va faire un tour ? ».
Non, j’ai pas envie en fait, je veux rester ici à danser, c’est cool ! Et puis t’façon ya rien à faire là bas, vers les bungalows. J’ai envie de rester ici.
Non, mais c’est bon on fait un tout petit tour pour discuter. T’as l’air cool, j’ai envie de parler avec toi. Juste parler ouai, c’est ça. Si si, promis. Allez, viens.

Nous y voilà, en train de s’éloigner des gens. Des potes à lui dehors nous regardent et rigolent.

Trou noir.

Ce dont je me souviens ensuite, c’est d’une pièce noire et de mains en train de me déshabiller, et d’une bouche qui m’embrasse, d’une langue qui entre dans ma bouche. Et je veux pas ça, et je dis non, et je suis bourrée, et j’ai pas le réflexe de frapper ce gars. Je tiens à peine debout. Je le repousse un peu, il revient vers moi. Il me met sur un lit une place qui est là, contre un mur. Je me recule contre le mur froid, il revient encore.
Sans savoir comment il en est arrivé là, je sens son pénis tenter de me pénétrer. Ca fait mal, j’en ai pas envie, il insiste, et ça finit par rentrer. C’est là que je réagis. Je le pousse avec mes bras, mes jambes, mes pieds. Tout est noir, je retrouve quand même mes habits, je sors à moitié nue mais il fait nuit et on est loin des gens.
Je me pose un peu contre un arbre tout seule dans le noir parce que j’ai envie de vomir. Ah ben oui c’est vrai, je suis bourrée. Qu’est-ce qu’il vient de m’arriver ? Je sais pas trop ce qu’il se passe dans ma tête à ce moment là.

Je crois que j’ai fini par retrouver copine qui me demande où j’étais passée un peu inquiète.
Je sais pas, j’ai…fait un tour.
Mais, ça va ?
Oui, oui, j’ai trop bu je crois, viens on va danser !

Les souvenirs sont vagues parce que alcoolisés, et ma mémoire a fait le tri entre temps. Je m’en souviens bien maintenant. Mais pendant plusieurs années, j’ai été la première à me dire ces choses si communes. Je l’avais bien cherché, j’étais ivre, c’était la fête, j’ai juste fait une connerie. J’ai été naïve, évidemment que ce mec voulait me choper. J’ai été conne et puis c’est tout.
Et en fait, non. J’ai traîné ce truc jusqu’à maintenant, en me disant que c’était rien de grave, en ne le racontant à personne, à part copine qui m’a dit un jour, mais en fait meuf, tu t’es faite violer. Ouai, mais non tu sais bien j’étais bourrée. Et alors ? Et alors.
L’été dernier, dure séparation avec mon amoureux. Je passe l’été enfermée, les copines sont là pour m’aider, j’ai pas de force, pas d’énergie, et des soucis de santé. Je retourne voir mon médecin de famille homéopathe qui en tâtant mon ventre, me demande si je n’ai pas été abusée sexuellement, ou un truc dans le genre. Et là, c’est les larmes. Je lui raconte l’histoire.
Il y a quelques jours, je suis allée à ma première séance d’acupressure. En touchant le point lié aux rapports sexuels, ça fait mal. Elle me demande si je n’ai pas été abusée sexuellement, ou un truc dans le genre. Et là, c’est les larmes. Je lui raconte l’histoire. J’ai l’impression d’en être finalement libérée, de cette histoire, sans vraiment savoir comment l’expliquer. Toujours est-il que ce point qui était douloureux à l’intérieur de ma cuisse gauche, ne l’est plus. C’est peut-être aussi pour ça que j’ai écris ce texte. Parce que c’est plus « mon problème », j’ai plus à le porter. Je le porte toujours évidemment, j’ai toujours un petit truc dans le fond du bide en y repensant. Mais je me sens plus « légère », disons.

Donc, copine, si dans une période de ta vie où tu te dis que tu veux t’amuser, que dans une soirée alcoolisée un mec veut te choper, que t’en as pas envie, mais que tu te retrouves malgré toi en train de le faire. Ne te dis pas que c’est de ta faute, parce que tu l’as juste laissé t’allumer. T’en avais pas envie, tu lui as dit non, il l’a fait quand même. C’est un viol, et pas autre chose.

P. I.”

Tu veux éviter d’être violéE ? Ne sors pas le soir ! [Merci La Dépêche Du Midi]

Le 2 mai je tombais sur un article vraiment horrible de La Dépêche (notre média super génial à Toulouse). Un article sur le viol, dont la conclusion est grosso modo “Il y a plein de viols. Nous conseillons aux jeunes filles de ne pas sortir le soir”. L’article est accessible ici.

Ça m’a beaucoup énervée et comme je travaille dans une association féministe, on a décidé de publier un communiqué de réaction pour reposer quelques faits sur le viol et ré-énoncer des principes qui nous semblaient fondamentaux en termes de libertés des femmes.

Communiqué de presse du Planning Familial 31

Toulouse, le 13 mai 2013

En réponse à un article paru en ligne sur le site de La Dépêche le 2 mai, et intitulé “Une étudiante de 22 ans violée en rentrant d’une soirée”, nous souhaitons réagir sur plusieurs points qui nous semblent choquants et inappropriés.

Cet article raconte, avec une profusion de détails, le déroulé d’une agression sexuelle d’un homme sur une femme. Tout d’abord, nous nous demandons quel est le but de cet article ; l’agression y est décrite avec une profusion de détails violents, qui touchent à l’intimité de la personne qui a été agressée.

Quel but cette description sert-elle ? Nous nous interrogeons sur la pertinence de publier un tel article, qui n’apporte que très peu d’information à la lectrice ou au lecteur, et relève plus, à notre avis, du fait divers, du voyeurisme et du sensationnalisme que de l’information.

Cet article décrit un viol qui s’est passé dans un contexte bien particulier : une agression de nuit, par un inconnu, sur une femme seule, qui rentrait chez elle après une fête. Pour être bien réelle, cette situation n’en est pas moins relativement rare dans les occurences de viol et de violences sexuelles.

L’enquête ENVEFF annonce que les viols sont perpétrés essentiellement par des conjoints, des compagnons, des maris, des collègues de travail, des hommes avec lesquels les femmes entretenaient ou avaient entretenu une relation plus ou moins longue dans les 12 derniers mois avant le viol. Au total, 85 % des viols sont commis dans un contexte où la victime connaît son agresseur, par exemple au sein de la famille (père, beau-père, oncle,…), de l’école ou du travail. Les agresseurs inconnus représentent 15 % des situations. Seulement 12% des viols sont commis sous la menace d’une arme, et seulement 35% des viols se passent en-dehors du domicile de la victime.

Le schéma stéréotypé du viol continue à être l’image fausse d’un inconnu psychopathe et armé qui agresse une femme seule, de nuit, dans un métro ou une rue sombre. Le fait que ce schéma (violence, incident isolé, personne armée) soit si répandu met dans l’ombre la majorité des situations de viol.

Le Planning Familial travaille auprès des personnes victimes d’agressions sexuelles et sait bien à quel point il est difficile de reconnaitre un viol par un de ses proches quand les médias véhiculent constamment l’idée qu’une agression se passerait forcément la nuit par un inconnu.

Il importe de poser clairement les limites et les insuffisances de ce scénario. En France, une femme est violée toutes les 8 minutes ; plus de 75000 viols sont commis par an (Enquête CSF). La majorité de ces viols est commis par l’entourage de la victime.

Les viols ne sont donc pas des incidents isolés, commis par des inconnus dérangés. Ils sont un phénomène de masse, un phénomène de société, dans tous les milieux sociaux, dans toutes les villes, et dont les victimes sont à 99% des femmes, et les auteurs, des hommes.

Les viols sont la conséquence d’un système de domination qui opprime les femmes, qui les assimile à des objets, et qui les fait apparaître comme disponibles pour que les hommes assouvissent leurs “besoins” sexuels soit-disant irrépressibles, sans se préoccuper de leur consentement. Le viol est une manifestation de la domination masculine, une façon de dominer et d’humilier les femmes.

Nous trouvons à ce titre important de souligner le manque de neutralité de La Dépêche, qui relaie donc un évènement bien spécifique sans jamais parler de la plus grande majorité des viols, et sans jamais questionner le système qui provoque et cautionne ces viols.

Nous trouvons de plus particulièrement choquante la conclusion de l’article, qui recommande aux femmes d’éviter l’espace public la nuit si elles ne souhaitent pas être violées : “Régulièrement, à Toulouse, des jeunes filles sont victimes d’agressions sexuelles la nuit. Il leur est conseillé d’éviter de se promener toutes seules.”

Il est scandaleux de lire de tels propos.

Les luttes féministes des siècles derniers ont réussi à apporter aux femmes plusieurs libertés essentielles : le droit de vote, le droit à disposer de leur corps par la contraception et l’avortement, mais aussi le droit de se déplacer et de s’habiller comme elles l’entendent.

Nous souhaitons que ces droits continuent d’être une réalité pour les femmes d’aujourd’hui.

Le Planning Familial 31 affirme que les femmes ont le droit d’être dans l’espace public à l’heure qui leur plaît.

Les femmes ont le droit de porter les vêtements qu’elles désirent.

Les femmes ont le droit de dire “non” et que ce “non” soit entendu.

Nous trouvons aberrant que La Dépêche moralise les actions des femmes.

Nous refusons que ce média perpétue l’idée que les femmes sont faibles, incapables de se défendre et à la merci des agresseurs.

Nous refusons que l’espace public soit systématiquement représenté comme un lieu de danger pour nous.

Nous refusons que notre statut de femme restreigne nos déplacements.

NOUS SOUHAITONS PROCLAMER QUE LE RESPONSABLE D’UN VIOL, C’EST L’AGRESSEUR. PAS LA VICTIME.

Pour répondre à diverses situations de violences subies par les femmes, nous souhaitons attirer l’attention sur une structure proposant des cours d’auto-défense féminine et féministe, l’association Faire Face (faireface.association@gmail.com).

À un média et une société qui préfèrent enfermer les femmes plutôt que de dire aux hommes de ne pas violer, nous répondons que nous ne sommes pas des victimes et que nous sommes capables de nous défendre.

En espérant que ce communiqué sera pris en compte et diffusé largement, le Planning Familial 31 reste à disposition pour échanger autour de cette problématique.

Sources :