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Sidérée

Oui. Je suis sidérée.

Ça fait plusieurs mois que la situation est tendue, douloureuse, difficile.

Ça fait plusieurs mois que des copains se font tabasser dans la rue parce qu’ils marchent main dans la mains (Vous vous souvenez de Wilfried ?). Ça fait plusieurs mois que des copines se font insulter, frapper, cracher à la gueule. Sale gouine, sucez vos pères. Ça fait plusieurs mois que les bras m’en tombent de lire dans les journaux ce qui se passe.

Ça fait plusieurs mois que la violence est constante. Tous les jours. Tous les jours j’entends des propos à faire frémir, que ce soit dans mon boulot, dans la rue, en famille, sur Internet. “Les pédés, faut les jeter du haut d’une montagne Madame !” (au travail). “Non mais quand on a CHOISI l’homosexualité qui est un mode de vie stérile, il faut assumer qu’on ne peut pas avoir d’enfants. Mesdames, si vraiment vous êtes lesbiennes et que vous voulez des enfants, il existe un moyen simple, hein : coucher avec un homme !” (à la radio). “Les taux de suicide 13 fois plus hauts chez les jeunes homosexuel-LE-s que chez les jeunes hétér@s ? La sélection naturelle !” (Les mères veilleuses du Capitole). “Je ne suis pas homophobe mais quand même… deux pédés auront jamais les qualités pour élever correctement un enfant !” (Facebook).

Ils se disent contre l’homophobie, tolérants avec les sexualités non-hétéras. Mais on sait bien qu’ils nous pensent moins bien qu’eux. Et qu’ils manifestent aux côtés de gens à qui ça ne fait pas peur de tabasser des transpédégouines, de faire des saluts nazis, de nous souhaiter la mort et la torture.

Tous les jours, je me lève avec la peur. Oh, pas une peur énorme et paralysante et terrifiante, mais la peur. D’apprendre qu’un ou une de mes potes a été tabassé-e à mort. Que les remarques homophobes aient finalement fait péter un câble à l’une ou l’autre d’entre nous et le ou la pousser à commettre l’irréparable.

Ça fait des mois que j’attends la tragédie.

Ça fait des mois que la tristesse le dispute à la colère dans ma tête et dans mes actions de tous les jours. Aller pleurer chez moi sur mon ordi. Ou répondre aux connards sur Internet. Ou aller à un millième rassemblement contre l’homophobie. Ou faire une centième action coup-de-poing.

Juste pour défendre nos droits. Pour dire “On est là”. Pour se sentir un peu plus fortEs. Pour pas retourner pleurer chez nous tous seuls, toutes seules. Pour faire passer le message aux kids qui sont chez eux avec des parents homophobes et à qui ça donne envie de mourir. Pour faire un peu de bruit.

Et ça fait des plombes qu’on se prend des beignes. Et qu’on rentre à la maison en sachant que ces gens pensent qu’on est des perversEs, des dévientEs, qu’il faut qu’on brûle. Ou qu’ils pensent pas ça ouvertement, mais quand même, “je suis pas homophobe mais les pédés…”.

Je suis fatiguée. Et j’ai la rage. Cette tension constante m’épuise. Cette façon de me demander tous les jours qu’est-ce qui va nous tomber sur la gueule encore ? Une beigne, un crachat, un vieux connard de psy qui propose “que des couples de lesbiennes mettent un lit vide dans leur chambre pour symboliser la présence du père” (Aldo Naouri), une insulte, un autocollant de Civitas… Des gens qui “en ont marre d’entendre parler de ces histoires”, des gens qui pensent que “ils ont le PACS faut arrêter de nous faire chier maintenant”.

Qu’ils agressent un type dans un bar pour le laisser gravement handicapé, qu’ils tagguent “White Power” sur les murs, qu’ils commettent des viols punitifs, des ratonnades, qu’ils tabassent des pédés, qu’ils crachent sur des potes mecs cis qui mettent des jupes, c’est toujours la même chose. Ils se sentent autorisés à nous faire de pire en pire. Ils nous font de pire en pire.

 

On ose nous dire que la France est un pays en paix.

Hier soir un gamin est mort. Il avait 19 ans. Il s’appelait Clément. Il avait l’âge de ma soeur. Il avait sûrement plein de trucs à faire dans sa vie. Mais il est mort. Et ces connards courent toujours.

Je suis fatiguée. Et j’ai la rage. C’était même pas mon pote, et j’ai la rage. J’ai envie de pleurer pendant mille ans, et j’ai aussi envie de brûler tous les fachos. J’en ai rien à foutre de la spirale de la violence. Elle est commencée maintenant. J’ai envie de voir mes copains et copines se soulever, exploser le béton, mettre le feu à tout, et se balader en ville avec des cutters.

On ne méritait pas ça. Personne ne méritait ça. Mais maintenant c’est plus le moment d’être non-violentEs. C’est plus le moment de tendre l’autre joue. Ça ne les fera jamais reculer qu’on fasse des kiss-in et des die-in et des rassemblements bavards contre l’homophobie. Ça les ferait plutôt rigoler et ils continueront leurs petites balades de nuit pour casser du pédé.

J’en ai plus rien à foutre.

Je suis fatiguée, et j’ai la haine.

Homophobie et transphobie quotidiennes

Il y a deux jours, j’étais à une projection de courts-métrages dans le cadre de la sixième édition du festival XXYZ.

Pour être honnête, j’ai pas vu beaucoup de films parce que je suis arrivée à la bourre à la projection.

Par contre, entre le début de ma soirée et la petite heure que j’ai passée à discuter avec les potes de la scène queer/trans-pédé-gouine toulousaine, il s’est passé deux trucs qui m’ont interrogée, et je tiens à les partager ici.

D’abord, j’ai rejoint un groupe de potes pour marcher vers Chez Ta Mère (le bar qui accueille l’évènement). On était six ou sept dont deux copines M2F (Male To Female, personne trans-identité née “garçon” mais se sentant “fille”. Par opposition à F2M, personne née “fille” mais se sentant “garçon” donc s’habillant et se comportant comme tel). Donc je marchais avec mes potes, et comme tous les vendredis soirs, il y avait des vieux gars qui traînaient dans les rues. Sur le chemin du bar j’ai entendu ces vieux gars grommeler un truc du genre “Oh les travelos dans notre quartier on en veut pas”. Je me suis retournée vers eux, je me suis arrêtée, et j’ai dit un truc genre “Non mais tu buggues, là ? Du respect, c’est possible?” (j’ai aussi dit d’autres trucs moins bien élevé mais je me souviens pas) à voix bien haute dans la rue. Mes potes ont juste marché plus rapidement en baissant la tête et en me disant “vite, on se tire de là, on va se faire tabasser”.
Quand je suis arrivée au bar, tout le monde était plus ou moins détendu. Sauf un copain à nous, qui était parti faire pipi dans une ruelle. Deux mecs sont arrivés derrière lui et lui ont demandé s’il était pédé, il a dit “oui”, et il s’est fait éclater une bouteille sur le crâne. Alors on s’est dit entre nous qu’on se raccompagnait pour ne pas avoir à rentrer seul-e-s.

Je retire plusieurs trucs de cette soirée. Au final, j’apprécie la réaction de solidarité des gen-te-s présent-e-s ; tout le monde intègre qu’il y a des risques (qu’on soit une femme, une personne trans, un garçon qui ne correspond pas aux codes de la masculinité) à se balader dans l’espace public quand on est déviant-e par rapport à la norme de genre.  Par voie de conséquence, tout le monde s’arrange pour minimiser ces risques en essayant de devenir plus fort-e dans sa tête par rapport aux situations qui nous mettent en danger, en apprenant l’autodéfense, en posant nos limites, et en s’organisant avec les copines pour que notre vie quotidienne soit plus sûre.

En même temps, je mesure une fois de plus le pouvoir de l”homophobie, de la transphobie et du patriarcat en général.

Si mes potes M2F se font emmerder et agresser plus que mes potes F2M, ce n’est pas un hasard. Si je fais moins face à des agressions transphobes que les personnes M2F, non plus. Je me sens parfois trans. Je porte peu d’habits féminins, j’ai une coupe de cheveux masculine, je fais de la mécanique, je n’ai pas peur de l’agressivité dans la rue, je parle fort, bref, je me comporte “comme un mec” dans l’espace public. Et pourtant je me fais relativement peu emmerder, et plus “parce que je suis une femme” que parce que je ressemble souvent à un homme.

C’est que la norme de la “masculinité” et la structure patriarcale sont beaucoup plus remises en cause par des personnes nées “de sexe masculin” qui remettent en cause leur genre assigné que par des “filles” qui se virilisent.  Parce que ça fait plus peur aux homophobes de voir une tapette qu’une gouine.

En tout cas, je refuse de rester passive devant ce genre d’agression, que ce soit des agressions faites à mes potes ou à d’autres personnes transpédégouines. Je refuse d’entrer dans le credo pacifiste du “on est plus intelligent-e-s qu’eux/ils sont trop cons laisse tomber”. Personne n’est trop con pour comprendre qu’il fait n’importe quoi. Et à accepter sans répondre les insultes et les humiliations, on finit par juste baisser la tête  systématiquement, alors que ces comportements insultants ne doivent pas être acceptés.

Je ne suis pas en train de dire qu’il faut essayer de se battre avec dix personnes à la fois si on est tout-e seul-e dans la rue, ni que c’est possible de faire de la pédagogie avec les gros cons. Mais dans le cadre de ces agressions-là, comme dans le cadre du harcèlement sexiste, il y a trois choses extrêmement importantes :

  • Connaître ses propres limites : ce geste, cette parole, ce comportement ne passe pas, je ne le tolère pas.
  • Comprendre qu’on a le droit d’être en colère contre les insultes/harcèlement qu’on subit, et que ça ne fait pas de nous une mauvaise personne.
  • Prendre conscience de son pouvoir personnel : je peux dire non, je peux crier pour attirer l’attention, je peux me battre physiquement/employer la violence.

Et comme dans toute situation de violence, le moment déterminant, ça peut être quelquefois de dire clairement “non, casse-toi” à l’agresseur, qui des fois n’a jamais réfléchi que ça pouvait être une situation de violence pour toi ou que toi, de l’autre côté, tu peux être aussi un être humain. Et bien sûr, si on est témoin d’une situation homophobe/transphobe/sexiste sans en être victime, on peut 1) proposer à la victime de l’aider 2) alerter le plus de monde possible (si ça se passe dans la rue ou dans un lieu public) de ce qui est en train de se passer pour que l’agresseur ait peur et qu’il s’en aille 3) faire bloc avec d’autres copines si la situation dégénère.