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Quand les choses ont-elle commencé à aller mal ?

Cette nouvelle a été écrite par Frédérique Maërl. Cette nouvelle est parfaite. Après que vous l’ayiez lue, je vous recommande d’aller et de cliquer sur le petit coeur, parce qu’elle mérite vraiment de gagner ce concours.

 

« Je les entends encore. Les cris, les gémissements, la foule qui faisait comme un grondement lointain avec, de temps en temps, une exclamation qui perçait mes tympans. Ça me réveille plus la nuit, mais ça m’empêche parfois de dormir.
Oui, je prends toujours les cachets. Je suis obligée, maman, tu sais bien.
Oui, je mange bien. Je dors mal, mais je mange bien. Tu trouves ? Je sais pas si j’ai grossi ou pas… Je m’en fous, de toute façon. Non, je te parle pas mal, maman. C’est juste pour te dire. »

Chaque fois que ma mère vient me voir, j’y vais en me disant que cette fois, je vais lui raconter… et chaque fois, je réalise qu’elle ne pourrait pas encaisser. Plus ça va, moins on parle la même langue. C’est pire que ça, on peut bien regarder dans la même direction tant qu’on veut, on voit pas la même chose.
Je peux lui dire que j’entends encore les bruits et parfois éveillée. Souvent éveillée, en fait. C’était quelque chose de traumatisant, c’est normal d’être marquée, de revivre le truc. Mais je peux pas lui dire où j’en suis par rapport à tout ça, ce que j’en pense. Je peux pas.

Je me souviens que j’avais peur, que je voulais qu’il vive, qu’il s’en sorte. Je voulais juste aller à ce concert et puis…
A quel moment les choses ont-elles commencé à aller mal ?
Je voulais juste aller à ce concert et je m’étais retrouvée ceinturée par des gens, puis entre deux flics, sans comprendre ce qui se passait. J’espérais juste qu’il était pas mort, qu’il allait pas mourir. J’avais encore l’espoir de le voir debout devant moi, me parler comme il l’avait fait juste avant, que tout soit normal. Je voulais rentrer chez moi. Je voulais être jamais sortie.
Les flics me regardaient bizarrement. J’étais tellement choquée que que je savais pas que j’avais du sang sur moi. Je l’ai vu qu’à l’intérieur du commissariat. Il faisait nuit, les fenêtres étaient des miroirs sombres et moi, j’avais le visage si pâle. Et le sang faisait des taches noires sur ma robe verte. On aurait dit que j’avais été poignardée.

Il y avait deux policiers dans le bureau avec moi. Et plein d’autres qui sont passés, qui ont regardé sans rien dire avant de ressortir ou qui ont murmuré des trucs à ceux qui prenaient ma déposition. C’est comme ça que j’ai appris qu’il était mort.
Celui qui est entré pour annoncer ça m’a pas regardée. Ça faisait un moment qu’ils me posaient des questions et je répondais. Ils disaient souvent « Et après ça ? Et après ça ? » et aussi « Mais pourquoi ? Mais pourquoi ? »
Moi non plus, à ce moment-là, je comprenais pas bien pourquoi. J’étais épouvantée de ce que j’avais fait. Même pas six heures avant, j’étais une étudiante tranquille, je m’habillais pour aller à un concert. Je me souviens que je m’étais faite jolie, tout en essayant de pas « en faire trop » pour pas me faire emmerder, sachant que j’allais rentrer au milieu de la nuit. Ma vie avait basculé, comme on dit.

« Bonjour, maman. Merci, oui, j’ai eu le chocolat. Ça m’a fait plaisir. Bien sûr, je continue la thérapie. Non, je le fais pas juste parce que je suis obligée, maman, je t’assure. Je crois que ça me fait du bien. D’ailleurs, je dors mieux. Pleure pas, maman, ça va aller. Regarde, ça fait plus d’un an, le temps va passer, je me conduis bien, je pourrai demander à sortir… »

C’est dur quand elle pleure parce qu’avec les médicaments, j’ai plus beaucoup d’émotions. Je me rends bien compte que je réagis trop froidement, qu’il faudrait que je pleure aussi un peu, avec elle, au lieu d’être rationnelle, de faire la fille qui va pas si mal… Ça me soulage tellement de plus trop ressentir sa tristesse, mais en même temps, ça me rend plus lucide et je vois bien qu’elle est triste aussi parce qu’elle ne sait pas comment réagir.
Depuis qu’elle a reçu le coup de fil qui la prévenait que j’étais partie en détention provisoire après une garde à vue, c’est comme ça pour elle.

La garde à vue m’a pas semblé très longue, mais j’étais vraiment sonnée. Sans vouloir définitivement passer pour une psychopathe, j’avais quand même fait un effort physique important, avec une bonne décharge d’adrénaline… J’étais épuisée.
Je me souviens qu’ils répétaient souvent « Et après ? Et après? »
Ce qui s’était passé après, c’est qu’il était mort et encore après, je me suis retrouvée soupçonnée de meurtre… Heureusement, mon avocat a ensuite fait requalifier les charges en violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
Mais avant ça, il y a eu l’interrogatoire. J’ai vu après les pages et les pages que ça faisait… ça n’a pas dû être aussi rapide.
Ils en revenaient pas qu’une petite jeune fille comme moi, qui faisait des études, qui était juste venue voir un concert, qui n’avait jamais eu de problème, tue un jeune homme plus jeune, qui était en première année de fac et qui était juste venu voir un concert. Ils en revenaient pas que je l’aie tabassé à mort.
Moi-même, je comprenais pas du tout pourquoi cette fureur. J’avais jamais réfléchi à tout ça avant. Ca m’a prise par surprise, moi aussi.

« Je sais pas, maman, il faudrait que j’arrête les cachets pour pouvoir reprendre mes études. Je sais, oui, je pourrais finir mon année avec des cours par correspondance et passer mon diplôme en prison. Pour après, oui, je sais. Pour après… »

Tout le monde veut tout le temps savoir pour après. Ce qui s’est passé après, ce que j’ai fait après, ce que je vais faire après…
Moi, j’aurais plutôt envie de leur expliquer tout ce qu’il y a eu avant. Mais personne me demande ce qui s’est passé avant. J’ai pas osé le dire, je savais qu’ils trouveraient tout ça hors sujet, hors de propos, hors contexte. Rien à voir. Circulez. Ah non, restez ici, sur cette chaise, restez dans votre robe ensanglantée et dites-nous ce qui s’est passé après. Reprends tes études, ma chérie, tu pourras avoir un bon métier, après…
C’est sûr, maman, c’est sûr. C’est un peu compromis pour le Capes, mais après tout, je pourrais faire de la communication. Il semble que j’aie des prédispositions pour délivrer des messages…

Je lui avais pourtant bien dit d’arrêter, à ce jeune type. J’avais fait des phrases, je les avais répétées, j’avais reformulé, essayé plusieurs intonations, plusieurs volumes sonores.
Il était tellement sûr que c’était pas grave d’insister pour que je l’embrasse, de me coincer contre un mur, devant ses copains qui rigolaient. C’était drôle parce que je continuais à lui expliquer, comme s’il avait pas compris que je voulais pas. C’était comme si c’était moi qui comprenais pas ce qui était en train de se passer. Comme si j’étais trop bête et trop faible pour pouvoir dire « non ». Et quand je lui ai mis un coup de tête, il a eu l’air tout surpris d’avoir finalement ce qu’il avait cherché.
Le premier d’une longue liste à être surpris…
A quel moment ça a dérapé ? Qu’est-ce qui a fait que, soudainement, je l’ai frappé sans m’arrêter ?

« Qu’est-ce qui m’a pris de faire ça ? Tu sais pourquoi j’ai fait ça, on en a parlé au procès. Ne crie pas, maman. Si tu cries, ils vont te demander de sortir. Je sais pas quoi te dire de plus… Si, j’y ai repensé. Non, pas encore. C’est pas comme ça que ça marche, une thérapie. »

J’ai menti à ma mère. J’ai le droit de pas lui dire ce qui se passe en thérapie. Pour ce que ça l’avancerait, de toute façon. Déjà que moi… Mais je comprends qu’elle demande. Je sais que si elle pouvait, elle se ferait enfermer à ma place ou avec moi. Elle aurait jamais cru qu’elle serait dans cette situation.
Si elle a eu peur pour moi un jour, c’est que je me retrouve violée, violentée, tuée, enlevée, victime. Victime. Et là, elle est l’autre mère. La victime, c’est l’autre. Et elle sait pas comment faire. Elle m’aime, elle me considère comme une victime, mais elle sait plus trop de quoi. Alors elle se sent coupable. Et il y a évidemment des gens pour l’accuser de m’avoir « mal élevée »… Je voudrais lui dire qu’elle n’a pas grand-chose à se reprocher. Le fait qu’elle m’ait toujours envisagée que comme victime, c’est une partie de la réponse…
Au premier coup, il a vraiment eu l’air stupéfié qu’une chose pareille lui arrive. Alors que moi, rien qu’en sortant de chez moi, je savais que ça pouvait m’arriver, une chose pareille. Que « ça peut t’arriver », c’est une chose que sait chaque femme, chaque fille.
Franchement, j’ai été tout aussi surprise que lui, qu’une chose comme ça puisse lui arriver…
Aujourd’hui, je pense que c’est pour ça que j’ai continué. Parce que c’était fou qu’une telle chose arrive. Et que c’était justice.
Je suis contente de l’avoir compris qu’après mon procès, parce que je pense pas que j’aurais échappé à la peine maximale avec un raisonnement pareil.

De toute façon, pendant le procès, j’étais occupée à autre chose. Ne pas pleurer en permanence, ne pas vomir au tribunal, arrêter d’avoir peur…

En lisant la presse, j’ai fait connaissance avec lui. Tout ce que j’avais vu de lui, c’était un jeune homme ivre, qui faisait bien deux têtes de plus que moi, probablement au moins une vingtaine de kilos en plus, qui faisait semblant de pas comprendre que je voulais qu’il me laisse tranquille. Toute sa famille et ses amis sont venus dire au micro des journalistes comme il était gentil, comme il était attachant, serviable, qu’il avait un peu bu et qu’il voulait juste que je l’embrasse.
C’était dur de savoir tout ça, de me sentir tellement mauvaise d’avoir tué un gentil garçon. Même ses ex-petites copines tenaient à dire à quel point c’était un gentil garçon. Mais moi, comment je pouvais savoir qu’il était gentil et attachant, pendant qu’il s’amusait à pas comprendre que je voulais qu’il me laisse tranquille, juste parce qu’il le pouvait ? Je veux dire… il se savait plus fort que moi et il était très clair pour tout le monde que j’allais même pas essayer de lui faire du mal pour me sortir de là.

On s’est trompés tous les deux. Moi, j’ai pas vu qu’il était gentil et lui n’a pas vu que j’allais lui faire mal.

Au procès, tout le monde a entendu que, vu comme je l’avais mutilé, même s’il avait survécu à l’hémorragie, il serait resté salement handicapé. Je me souviens même plus exactement de ce que j’ai fait. Je m’étais jamais battue avant, j’ai frappé au hasard, j’ai pas fait exprès de lui crever les yeux. Je savais pas que ça ferait ça. Je voulais juste le repousser et puis de le voir si surpris par mon premier coup… j’en ai eu plus rien à foutre qu’il me fasse mal, que je rate mon coup ou que ses potes interviennent et que je fasse démonter par quatre ou cinq jeunes gars éméchés. Aujourd’hui, je me dis que pour moi, d’un coup, c’était devenu de l’ordre du possible de renverser la situation et que je voulais lui montrer comment c’était, de se sentir impuissant…
Même les mots s’y mettent. « Se sentir impuissant », c’est ridicule. On dirait que je voulais lui montrer qu’il pouvait pas avoir d’érection. C’est pas ça que je veux dire.

« Maman, si ça te fait pleurer tout le temps, de venir me voir, te sens pas obligée… Je sais que je suis pas dans mon état normal. Je t’en voudrai pas et il faut pas que tu t’en veuilles. Non, ce n’est pas ton rôle de mère. Tu as l’air fatiguée, maman. Tu arrives à dormir ? »

C’est compliqué… Moi, j’ai bien aimé être une fille, mais j’ai toujours trouvé ça compliqué, sauf que j’avais jamais vraiment pensé à pourquoi je trouvais ça compliqué.
Toute petite, c’était pas sorcier de remarquer qu’être une fille, c’est quand même moins bien vu qu’être un garçon. On est gentiment dissuadées de tout, sauf d’être jolies et obéissantes… Moi, j’ai toujours été plutôt docile, alors je faisais comme on me disait de faire. J’avais vraiment envie d’être princesse, plus tard, ça m’allait bien.
Puis surtout, à l’époque, je pensais que j’étais pas n’importe quelle fille.
Je me défendais pas mal aux billes. J’étais nulle à l’élastique, mais franchement, qu’est-ce qui compte le plus ? Sauter en rythme ou gagner des billes et ramener chez soi un sac de plus en plus lourd ? On savait bien, tous, que c’était ça qui était important : ramener chez soi le soir ce qu’on avait gagné dans la journée.
Je mettais des raclées à mes cousins quand on faisait des concours de bras de fer, j’étais fière, j’avais leur respect.
Et puis, il y a eu l’adolescence. Dopés à la testostérone, ils se sont mis à gagner et à en être tout fiers, alors que franchement, y avait rien qu’ils avaient fait pour mériter ça.
Pendant ce temps-là, on me regardait les seins, pour voir si ça poussait… OK, on se moquait des voix éraillées de mes cousins, mais une voix éraillée, ça n’a rien de sexuel, alors que des seins… Je pensais tout de suite à mes poils qui venaient en bas, aux règles que j’allais avoir, à tout ce que ça impliquait, à tous les trucs que j’allais devoir mettre à l’intérieur de moi : des tampons, le regard d’un gynéco, une bite… Ça n’existait pas du tout, avant, mon vagin et là, d’un coup, c’était plus fréquenté qu’une gare à la veille des vacances.
Avant, vous êtes totalement asexuée, vous jouez avec les garçons sans problème et d’un coup, tout le monde pense à votre vagin.
Mais toi, la fille, faut surtout pas que t’aies l’air d’y penser, c’est dangereux. C’est dangereux pour ton corps, c’est dangereux pour ta réputation, il va t’arriver des trucs, il faut pas. En même temps, on y pense pour toi et on te le rappelle, souvent, que tu as un vagin, là, une ouverture dans ton corps, faite pour qu’on y entre… Qu’on pénètre le château fort !
Et la princesse, en haut de sa tour, peut rien faire d’autre que de regarder les ennemis entrer dans son vagin.

Je peux pas raconter ça à ma mère, elle se croit déjà responsable de ce qui m’arrive, de ce qui est arrivé à ce gentil jeune homme, de ce qui arrive à cette autre maman, à ce papa, à ces jeunes qui ont perdu un ami à cause de sa fille… Elle porte tout ça, ma mère.
Je crois qu’elle me croirait folle ou qu’elle deviendrait folle. J’ai assez fait de dégâts comme ça. Alors je lui dis que ça se passe bien en thérapie, qu’un jour, je vais reprendre mes études, qu’elle est pas obligée de venir à chaque parloir.

Ma mère n’est pas venue. Je me sens seule, mais je suis fière d’elle. Je pense qu’elle va se sentir coupable, mais peut-être qu’un jour, elle ira mieux.

Le psy m’en a parlé. « Votre mère vient toujours vous voir ? »
Oh bah alors, quel hasard ! Justement, ma mère est pas venue pour la première fois depuis mon incarcération ! Connard…
J’ai assez peu parlé. J’ai insisté sur le fait que je comprenais que ma mère avait besoin de repos. Il a dit que c’était sûrement très dur aussi pour elle et aussi qu’il était nécessaire que je me réconcilie avec ma féminité. J’ai dit d’accord. Et merci aussi, je suppose.

Sérieusement, comment veut-il qu’on soit pas en conflit avec la féminité ?

Tout le temps, pour tenir sa place de fille, faut être jolie, mais pas jolie n’importe comment, attention ! Faut être jolie mince avec des formes et pas de poils et tant pis si dans la vraie vie, les filles, ça a des poils et de la cellulite et que ça fait pas toujours du 36 et que c’est pas toujours jolie comme ça. Tant pis si t’as un long nez, un gros cul, une vilaine peau ou des cheveux filasses. Les mecs, c’est chauve, c’est moche, c’est vieux, mais c’est pas pareil.
Et si t’es pas tout ça, t’es un pot à tabac, un boudin, un roquet, une moche, une gouine, une pauvre fille, une ratée. Et si t’es tout ça, t’es superficielle, pétasse, pute ou alors si t’as la classe, y a juste à attendre de te voir vieillir pour que ça aussi, ça soit fini pour toi. Puis de toute façon, tu vas moins gagner, moins progresser, rester en-dessous, histoire que tu gardes à l’esprit que t’es sous contrôle.
Il faut regarder tout ça avec calme, avec recul… Ecouter des blagues misogynes en riant poliment, ne pas le prendre personnellement, surtout, ne pas se sentir concernée, même. Mais comment faire ? Comment faire pour pas se sentir concernée ? Expliquez-moi comment je dois faire.

A mon avis, et je vous dis ça avec mes trois cachetons quotidiens et je vous emmerde, c’est ça qui rend folle. Il faudrait qu’on agisse comme si on n’avait pas de vagin, alors que toute la société nous rappelle en permanence qu’on a un vagin qui est comme une porte d’accès, à tout le monde.
Entrez, c’est ouvert ! Les filles sont ouvertes !
Il y a des moments, je me sens comme une impasse dans laquelle n’importe quel type peut aller se soulager.

Plus j’y pense, plus je me dis que c’est pas moi qui suis dingue. Et que les choses ont commencé à aller mal pour moi bien avant ce concert.
OK, c’est pas de bol pour ce jeune type qui est mort, mais franchement, c’est pas de bol pour tellement de femmes tout le temps, partout. Si je me souviens bien, ses copains, au type, ils ont trouvé ça super drôle de me voir paniquer et pas réussir à éloigner leur copain. Mais ça n’a empêché personne de les croire quand ils sont venus dire à quel point leur copain était un mec bien et gentil. Comme eux. Ils étaient juste des jeunes mecs bien… des mecs normaux… Simplement, ça les faisait rire que je panique et que je sache plus quoi faire, c’est normal, c’est comme ça que les mecs normaux s’amusent avec les filles normales.

Tu me crois pas ? Tu trouves que j’exagère ?
Regarde, toutes les meufs qui sont enfermées ici sont là à cause d’un mec… Je suis pas sûre que ce soit la même dans une prison pour hommes. Et tu sais quoi ? On est toutes des filles normales. Faut faire gaffe, avec les filles normales.”

Homophobie et transphobie quotidiennes

Il y a deux jours, j’étais à une projection de courts-métrages dans le cadre de la sixième édition du festival XXYZ.

Pour être honnête, j’ai pas vu beaucoup de films parce que je suis arrivée à la bourre à la projection.

Par contre, entre le début de ma soirée et la petite heure que j’ai passée à discuter avec les potes de la scène queer/trans-pédé-gouine toulousaine, il s’est passé deux trucs qui m’ont interrogée, et je tiens à les partager ici.

D’abord, j’ai rejoint un groupe de potes pour marcher vers Chez Ta Mère (le bar qui accueille l’évènement). On était six ou sept dont deux copines M2F (Male To Female, personne trans-identité née “garçon” mais se sentant “fille”. Par opposition à F2M, personne née “fille” mais se sentant “garçon” donc s’habillant et se comportant comme tel). Donc je marchais avec mes potes, et comme tous les vendredis soirs, il y avait des vieux gars qui traînaient dans les rues. Sur le chemin du bar j’ai entendu ces vieux gars grommeler un truc du genre “Oh les travelos dans notre quartier on en veut pas”. Je me suis retournée vers eux, je me suis arrêtée, et j’ai dit un truc genre “Non mais tu buggues, là ? Du respect, c’est possible?” (j’ai aussi dit d’autres trucs moins bien élevé mais je me souviens pas) à voix bien haute dans la rue. Mes potes ont juste marché plus rapidement en baissant la tête et en me disant “vite, on se tire de là, on va se faire tabasser”.
Quand je suis arrivée au bar, tout le monde était plus ou moins détendu. Sauf un copain à nous, qui était parti faire pipi dans une ruelle. Deux mecs sont arrivés derrière lui et lui ont demandé s’il était pédé, il a dit “oui”, et il s’est fait éclater une bouteille sur le crâne. Alors on s’est dit entre nous qu’on se raccompagnait pour ne pas avoir à rentrer seul-e-s.

Je retire plusieurs trucs de cette soirée. Au final, j’apprécie la réaction de solidarité des gen-te-s présent-e-s ; tout le monde intègre qu’il y a des risques (qu’on soit une femme, une personne trans, un garçon qui ne correspond pas aux codes de la masculinité) à se balader dans l’espace public quand on est déviant-e par rapport à la norme de genre.  Par voie de conséquence, tout le monde s’arrange pour minimiser ces risques en essayant de devenir plus fort-e dans sa tête par rapport aux situations qui nous mettent en danger, en apprenant l’autodéfense, en posant nos limites, et en s’organisant avec les copines pour que notre vie quotidienne soit plus sûre.

En même temps, je mesure une fois de plus le pouvoir de l”homophobie, de la transphobie et du patriarcat en général.

Si mes potes M2F se font emmerder et agresser plus que mes potes F2M, ce n’est pas un hasard. Si je fais moins face à des agressions transphobes que les personnes M2F, non plus. Je me sens parfois trans. Je porte peu d’habits féminins, j’ai une coupe de cheveux masculine, je fais de la mécanique, je n’ai pas peur de l’agressivité dans la rue, je parle fort, bref, je me comporte “comme un mec” dans l’espace public. Et pourtant je me fais relativement peu emmerder, et plus “parce que je suis une femme” que parce que je ressemble souvent à un homme.

C’est que la norme de la “masculinité” et la structure patriarcale sont beaucoup plus remises en cause par des personnes nées “de sexe masculin” qui remettent en cause leur genre assigné que par des “filles” qui se virilisent.  Parce que ça fait plus peur aux homophobes de voir une tapette qu’une gouine.

En tout cas, je refuse de rester passive devant ce genre d’agression, que ce soit des agressions faites à mes potes ou à d’autres personnes transpédégouines. Je refuse d’entrer dans le credo pacifiste du “on est plus intelligent-e-s qu’eux/ils sont trop cons laisse tomber”. Personne n’est trop con pour comprendre qu’il fait n’importe quoi. Et à accepter sans répondre les insultes et les humiliations, on finit par juste baisser la tête  systématiquement, alors que ces comportements insultants ne doivent pas être acceptés.

Je ne suis pas en train de dire qu’il faut essayer de se battre avec dix personnes à la fois si on est tout-e seul-e dans la rue, ni que c’est possible de faire de la pédagogie avec les gros cons. Mais dans le cadre de ces agressions-là, comme dans le cadre du harcèlement sexiste, il y a trois choses extrêmement importantes :

  • Connaître ses propres limites : ce geste, cette parole, ce comportement ne passe pas, je ne le tolère pas.
  • Comprendre qu’on a le droit d’être en colère contre les insultes/harcèlement qu’on subit, et que ça ne fait pas de nous une mauvaise personne.
  • Prendre conscience de son pouvoir personnel : je peux dire non, je peux crier pour attirer l’attention, je peux me battre physiquement/employer la violence.

Et comme dans toute situation de violence, le moment déterminant, ça peut être quelquefois de dire clairement “non, casse-toi” à l’agresseur, qui des fois n’a jamais réfléchi que ça pouvait être une situation de violence pour toi ou que toi, de l’autre côté, tu peux être aussi un être humain. Et bien sûr, si on est témoin d’une situation homophobe/transphobe/sexiste sans en être victime, on peut 1) proposer à la victime de l’aider 2) alerter le plus de monde possible (si ça se passe dans la rue ou dans un lieu public) de ce qui est en train de se passer pour que l’agresseur ait peur et qu’il s’en aille 3) faire bloc avec d’autres copines si la situation dégénère.