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Harcèlement encore une fois

J’ai publié ce texte il y a quelques jours sur mon tumblr et il a été reblogué plein plein de fois alors je me disais qu’il y avait peut-être des gens ici à qui ça parlerait.
 

Alors voilà.

Lundi j’ai des copains que j’héberge. Alors je vais chercher des bières à l’épicerie de nuit. Il y a des types dehors. Un qui me propose “Hey miss, tu me ramènes chez toi j’ai pas de maison”. Je dis non. Il me rebranche direct. Je lui jette un truc du genre “Qu’est-ce qui te fait penser que je suis intéressée ?”. Et là boum. Sale pute, sale chienne. Je monte sur mon vélo. La fille qui est avec eux rigole. Je lance un “crève !” bien senti. Ils me poursuivent en courant. “Assois-toi sur ton vélo ! Sans la selle !”. Autres trucs que j’entends pas. Mon coeur bat trop fort. Je monte la côte en bourrinant sur mes pédales. Je déraille, heureusement trop loin d’eux, ils ont lâché l’affaire.

Hier je sors en ville avec des potes. Je dois aller chercher quelqu’un à la gare. Je suis en jupe. J’avais pas prévu de passer du temps en ville toute seule. En même temps pourquoi le fait de passer du temps en ville seule devrait influer sur ma tenue. Donc je vais chercher cette personne à la gare mais son train a du retard, alors je rentre chez moi. Je me fais aborder peut-être une dizaine de fois. Pas le courage de répliquer, surtout que je suis fatiguée et que je me sens physiquement pas forte et pas trop le moral non plus. Je rentre chez moi en ayant peur qu’il y en ait un caché à un coin de rue, je suis toute seule et la rue est déserte et si ça arrive je sais pas comment le gérer.

Alors voilà. Il y a plein de gens qui me disent qu’ils me trouvent forte et que j’ai un peu la classe dans ce genre de soucis. Effectivement j’ai une grande bouche et je me prive pas de l’ouvrir quand ça peut faire fuir les relous.

Tout à l’heure une discussion avec mon partenaire où je lui parle de ça et où on parle de comment on peut faire quand on subit ça. Il dit tu sais, généralement, les mecs comme ça sont pas très malins, il suffit qu’ils aient plus peur que toi, qu’ils voient dans tes yeux que t’es prêt à leur casser le nez.

Et je dis oui, je veux bien moi, je veux bien leur casser le nez, mais je sais pas ce qui pourrait se passer ensuite. S’ils deviennent plus violents et que je me fais tabasser, ou violer ?

Et je me rends compte qu’en fait, j’ai peur, j’ai si peur. Je sais pas s’ils se rendent compte ces types qui nous parlent dans la rue à quel point ils nous font peur. À quel point sûrement pour eux c’est un jeu et pour nous pas du tout. À quel point on a peur pour nos vies ou pour notre sécurité physique souvent. La semaine prochaine je commence l’autodéfense et ça va être bien. Mais j’aimerais savoir comment gérer la tristesse qui me monte au nez quand je me fais aborder pour la millième fois.

 

 

La Dépêche persiste et signe

Vous vous souvenez de cet article horrible qui conseillait aux jeunes femmes de ne pas sortir si elles voulaient éviter d’être violées ? Le Planning Familial avait souhaité y réagir par un communiqué que j’avais publié dans ce post. Le communiqué reprenait quelques-uns des mythes sur le viol propagés dans l’article pour les démonter, expliquer que le viol arrive en majorité quand l’agresseur fait partie de l’entourage de la victime, qu’il arrive que tu sois en peignoir ou en tablier ou en jupe, jeune ou vieille, que donc le mythe du psychopathe qui te saute dessus dans une rue sombre si tu marches seule le soir en jupe.

Heureusement que La Dépêche continue à être au service de la culture du viol. La même journaliste que celle qui avait publié le premier article est revenue à la charge dans un deuxième tout aussi gerbant que le premier, ici. Il y a tellement de trucs horribles dans cet article que je sais même pas vraiment par où commencer, mais pour donner quelques exemples :

  • La photo qui verse bien dans le pathos avec une jeune fille, cheveux longs, et un personnage cagoulé qui l’attrappe par-derrière en lui mettant la main sur la bouche,
  • La petite phrase sur les plaintes pour viol (dont la plupart seraient des fausses, seraient fabriquées par des femmes pour embêter les hommes, alors que cette étude américaine de mars 2013 montre que seules 0,6% des plaintes pour viol sont fausses),
  • La petite phrase sur le fait que les jeunes femmes sont “seules, vulnérables, fatiguées” quand elles ont bu de l’alcool (visiblement, les personnes autres que les jeunes femmes qui peuvent être violées n’intéressent pas La Dépêche),
  • Le vieux cliché bien pourri sur les femmes, incapables de se défendre, qui baissent la tête et chanent de trottoir,
  • Et pour finir, “le chiffre”, qui vient, forcément, d’une source policière.

Encore une bonne occasion de se marrer sur les clichés, et d’avoir envie de brûler des trucs.

Du coup, je publie ici le communiqué du Planning Familial 31 intitulé “La Dépêche persiste et signe”, qui souhaite répondre à cet article.

Communiqué de presse du Planning Familial 31

Toulouse le 28 mai 2013

Nous souhaitons réagir à un article publié récemment par La Dépêche du Midi, qui une fois de plus crée la psychose plutôt qu’il ne la combat, comme l’auteure voudrait nous le faire croire. Après un article scandaleux à propos d’une agression sexuelle pour lequel le Planning Familial 31 s’était révolté à travers un communiqué, le journal persiste et signe le 18 mai un nouveau texte superficiel et révoltant. Cet article ne réfléchit pas aux causes du phénomène dont il traite, il en tire seulement des conclusions hâtives et réductrices. Il ne s’agit pas ici de nier le sentiment d’insécurité que des femmes peuvent ressentir dans l’espace publique, mais de dénoncer comment la dépêche le construit et l’amplifie.

Dès le titre de l’article le ton est donné  : « Faut-il avoir peur la nuit à Toulouse ? » ; tout en multipliant les exemples dans un style sensationnaliste, on conseille une fois de plus aux femmes « la prudence ». Il conviendrait pour les femmes la nuit à Toulouse de « marcher tête baissée », de « prier pour qu’il ne (leur) arrive rien ». Certes, ce sont des témoignages de femmes et non les propos des auteures, certes, nombreuses sont les femmes à mettre en place des stratégies d’évitement dans l’espace public. Cependant, en relayant ces propos sans en faire aucune analyse, La Dépêche s’adresse une fois de plus aux victimes plutôt qu’aux agresseurs potentiels. De la même manière les propos d’un commissaire de police sont retranscrits sans aucune analyse, les services de police conseillent aux jeunes femmes «d’éviter de rentrer seules à pied, de préférer le covoiturage ou d’être accompagnées.»

Les femmes devraient donc se protéger, être prudentes. Mais que conseille-t-on aux hommes ? Une fois de plus, rien. C’est à la victime de faire en sorte de ne pas “se faire” agresser et non à l’agresseur de changer son comportement. En aucune manière on ne pointe la responsabilité de l’agresseur. Pourquoi ne pas demander aux hommes de rentrer à plusieurs pour être certain que l’un d’entre eux n’agresse pas ? Pourquoi ne pas leur conseiller de changer de trottoir quand ils marchent derrière une femme pour ne pas accentuer le sentiment d’insécurité ?

D’autre part, même si cela peut être une réalité, le plus souvent les agresseurs ne sont pas des « prédateurs sexuels » ou des hommes ayant consommé des stupéfiants ou de l’alcool comme le laissent entendre les auteures. De plus elles nous expliquent que « les jeunes filles sont particulièrement exposées aux agressions lors de retours des soirées festives ». D’où provient cette affirmation? Sur quelle enquête se base la journaliste ?

Ce qui émane de cet article et qui nous semble dangereux c’est que les femmes n’ont pas leur place dans l’espace public au même titre que les hommes, et que si elles prennent le « risque » de l’investir, elles deviennent co-responsables de ce qui leur arrive.

Comme nous l’avons déjà dit dans notre précédent communiqué, ce phénomène n’est pas isolé. Plus de 75 000 femmes par an en France sont victimes de viols (sans parler des autres agressions sexuelles : attouchements, harcèlement sexuel…), et participent d’un système bien plus important que l’on nomme la domination masculine.

Par ailleurs, il est surprenant que pour écrire un tel article les auteures ne se basent que sur la seule source policière. Celle-ci reflète nécessairement une réalité partielle et partiale. « Nous enregistrons une centaine de plaintes pour viol chaque année, sachant qu’une partie de ces plaintes sont finalement retiréesnous explique un commissaire de police. Que fait cette phrase ici sans aucune analyse ensuite des raisons du retrait de ces plaintes, ou même du faible chiffre avancé ? Sachant que moins de 10% des femmes victimes de violences portent plainte et au vu du nombre de femmes victimes de viol chaque année en France (plus de 75000 faut-il le rappeler ?), ce chiffre de 100 plaintes par an en Midi-Pyrénées nécessite des précisions. Il laisse transparaitre que seulement 100 femmes en Midi-Pyrénées seraient victimes de violences chaque année – le chiffre est hélas bien plus élevé – cette omission a pour effet de minimiser les violences faites aux femmes et d’invisibiliser le système duquel elles découlent et participent.

Nous déplorons que La Dépêche, une fois de plus, publie un article aux sources uniques et sans aucune réflexion de fond. De plus, s’il est primordial de relayer la parole des femmes, livrer ainsi trois témoignages sans en faire l’analyse derrière relève plus du journal intime que du journalisme. En insistant sur les dangers encourus par les femmes dans l’espace public, ce journal ne fait qu’accentuer le contrôle social qui s’exerce sur elles et la ségrégation sexuée de l’espace public.

Voilà voilà. Le PDF du communiqué est disponible ici.

Merci Tan

Il y a quelques jours, plusieurs copines féministes partageaient simultanément le même lien sur mon fil d’actualités Facebook.

Le blog s’introduit par le texte suivant :

Le projet s’intitule Violences Sexistes.

Pour participer :  tanpmp [at] gmail.com
Les textes sont libres, le theme a respecter est « le sexisme », et puis il faut que ce soit personnel. Vous avez carte blanche et etes tou-te-s les bienvenu-e-s dans ce projet. Pour le moment nous avons des lettres, des poemes, des petits autobiographies, des anecdotes, des temoignages sur une situation precise ou un ressenti general, des ecrits douloureux et des recits amusants, bref, faites-vous confiance, et faites-nous confiance, it’s all good.

Donc j’ai décidé d’écrire un texte que j’ai envoyé pour contribuer au projet.

Si vous voulez écrire un truc aussi le blog est ouvert à contributions.

Si vous voulez relayer l’info, faites-le, ça en vaut la peine.

Il y a un projet d’expo autour de ces textes et aussi un fanzine en préparation. C’est chouette.

Relou.

Il est environ dix-huit heures. J’ai passé la journée à faire des papiers administratifs chiants. Je me balade dans Toulouse. Il fait soleil.

Sur moi, j’ai : un jean, un t-shirt noir, des baskets grises, un iPod avec un casque violet. J’exude probablement la normalité et je m’en fous. Je marche en écoutant du hip-hop et je réfléchis à des trucs en clignant des yeux dans le soleil. De façon complètement paisible, vivante, respirante, coeur qui bat, muscles qui marchent, je me sens si bien que je me mettrais presque à courir ou à danser ou un mélange des deux ; c’est un moment de paix dont je suspecte que je vais pas en avoir des masses cette année, alors je savoure.

Je me fais mater et je crois que, toute à mon soleil et au beat, je m’en fous. Je me fais aborder. Les deux premiers mecs, j’ai fait semblant de pas voir, genre je m’en fous j’écoute mon truc qui parle de rage et de bonheur et tu vas pas déranger ma paix intérieure.

Le troisième se met carrément en-travers de ma route et je le vois remuer les lèvres sans entendre ce qu’il dit. Je retire à moitié mon casque et je fais “Quoi ?”. Ambiance tu me déranges mais peut-être que ça passe au final. J’entends “Ça va ? -Ouais.  -Ça va bien ? -Tu viens de me poser la question. -Hé tu viens boire un café chez moi ? -Heu quoi ? -Ben j’sais pas t’es belle tu me plais viens quoi”.

Il y a eu une sorte d’explosion dans ma tête. Ce mec, c’est lui, c’est d’autres, c’est les relous en 4×4 quand je suis à vélo pour aller en cours le matin qui klaxonnent parce que j’ai le malheur de bloquer leur chemin, c’est les mecs qui me lancent “Hé salope, tu suces ?” quand je vais acheter du tabac à cinquante mètres de chez moi, c’est le mec qui m’attrappe le cul alors que je bois un verre avec des potes dans un bar, c’est le mec qui essaie de me coller contre un mur dans ce même bar en me répétant le même argument : “Mais t’es trop belle ! “. Du coup, l’explosion prend la forme verbale d’une gradation du plus bel effet, qui peut se transcrire environ ainsi : “Mais…. tu veux pas me foutre la paix, en fait ? Pourquoi tu te permets de m’aborder comme ça dans la rue juste parce que tu me trouves belle, alors que je suis clairement en train d’écouter de la musique ? Tu me prends pour un steak, là ? Ça t’est pas venu à l’esprit que je pouvais ne pas avoir envie que tu me parles, ou m’en cogner de ton opinion sur mon physique ? J’ai l’air disponible, là ? Genre je t’ai envoyé des signaux qui disent que j’ai envie de te parler ? Genre en fait je suis une meuf donc t’as le droit de venir me faire chier dans la rue, c’est ça ? Putain mais BOUFFE TES COUILLES, CONNARD !’.

Il faut s’imaginer la gradation parfaite, du ton à peu près normal mais un peu soûlé au hurlement public qui fait se retourner la maman qui ramène ses enfants de la garderie. Il faut s’imaginer le contexte où j’en ai vraiment marre de me faire emmerder dans la rue, que mes copines se fassent emmerder dans la rue, et que tout le monde trouve ça normal.

Il faut surtout s’imaginer la petite mamie de soixante-cinq ans qui vient me voir ensuite et qui me parle pendant vingt minutes (je n’invente rien) en me disant “Oh mais quand même, vous avez été méchante avec lui, vous avez dû le vexer… Il faut comprendre, c’est un compliment, qu’on vous trouve jolie. Vous le regretterez, quand vous aurez mon âge et que plus personne ne vous trouvera jolie”. Et moi d’expliquer. Vous trouvez ça normal que je me fasse emmerder tous les jours quand je sors de chez moi ? Vous trouvez ça normal que toutes les filles de quinze à quarante ans tiennent compte de cette menace-là ? Il faudrait que je fasse comme si j’entendais rien ou que je sois gentille avec lui par peur de le “vexer” ? Et puis je suis pas d’accord avec vous, je ne suis pas une enveloppe physique jolie ou moche, et je ne veux pas être définie par ça ; j’en ai marre que ça entre en ligne de compte avant la personne que je suis, mes capacités intellectuelles ou professionnelles, ma volonté personnelle sur ma manière d’entrer en relation avec les gens qui m’entourent. Mon identité est pas définie par le fait que j’ai des seins et que j’aie vingt ans, je suis quand même un peu plus que ça ! Je voudrais juste qu’on me laisse tranquille quand je me balade dans la rue, merde à la fin !

J’allais écrire que je sais pas trop quoi en penser, mais en fait, si. Depuis quelques mois, c’est tolérance zéro. Le premier qui m’emmerde, je lui crie dessus jusqu’à ce qu’il se casse. La majorité des relous n’a même pas envisagé que la fille-cible puisse ne pas être d’accord ; au moindre cri, il se casse en courant, tout penaud. C’est très amusant. J’ai pas envie d’être gentille, j’ai pas envie d’être dans le rôle de la fille qui explique gentiment au gars qu’il est relou et pourquoi c’est pas trop choupi de faire chier les meufs dans la rue ou ailleurs.

Je veux pas faire de généralité ni dire à qui que ce soit quoi faire. Mais si tu es un mec, tu n’as peut-être pas conscience de ce problème : les filles, en ville, se font emmerder en permanence, et pour la plupart de celles que je connais, c’est source d’une grande souffrance, peur, rasage de murs, changement de la façon se s’habiller et de se percevoir, etc. Si tu es une fille, je peux partager mon opinion et mon expérience avec toi et te dire que quelque soit ton âge ou ton apparence, tu as la capacité de prendre conscience que cette situation n’est pas normale, la capacité et le droit de te sentir en colère par rapport à ça, et mon soutien et mon amitié quand tu balances une remarque bien sentie au relou qui s’autorise à te soûler ou que tu te défends physiquement face à une situation d’agression.